Rencontre avec une artiste multidisciplinaire du Canton de Stanstead

CULTURE. Nadia Nadège est une artiste écrivaine multidisciplinaire établie au Québec depuis une vingtaine d’années. Elle produit des œuvres d’art inspirées de son expérience atypique à travers les frontières.

Son style particulièrement éclectique rend le personnage difficile à cerner. Nadia Nadège met son talent à la fois au service des arts visuels, du dessin, de l’écriture, de la peinture et de la sculpture. Cette pluralité fait mentir sa réputation d’agent de marketing en Estrie parce qu’en réalité elle a plus d’une corde à son arc.

«J’ai sorti des têtes et elles avaient toujours des bouches ouvertes, pour me murmurer ou me chanter des sons de paix», dit-elle au sujet des Moai sculptées dont elle a littéralement fait une chorale au musée du bronze et dans les sentiers de sa pinède à Georgeville. Ces têtes lui font des chants de gorges qu’elle a entendus chez les Tibétains, les Inuits ou encore les chamanes. Les plus grosses, les dieux péans chantent sur des éoliennes sous le souffle du vent.

 

L’identité et l’art relationnel

Le dessin fut un véritable refuge pour la petite Nadia Nadège réduite au silence dans sa pénible enfance. Pour se raconter, elle préfère à mots voilés le souvenir d’un génie en gestation à celui d’une victime de violence sexuelle dans une famille adoptive. Son adolescence colorée et multiculturelle en Asie et en Amérique du Sud l’a propulsée dans les arts.

«J’ai appris à manger avec des baguettes avant de connaître les fourchettes, mais je ne suis pas jaune, je suis une métisse à la peau blanche», se décrit-elle, définissant l’art comme «une voie d’expression de soi vers la liberté». Elle y ajoute la nécessité «d’un leadership créatif au service de la communauté».

La quête permanente de son identité oriente son pinceau et façonne inexorablement son génie : «j’ai eu du mal à m’enraciner, c’est pour cela que je travaille beaucoup sur les portraits ; mais je suis une artiste de résilience qui peut se refaire à tout moment».

Parler aux roches, aux arbres ou aux animaux était sa seule manière d’être enracinée. Avant l’art et la communication, l’exposante des «portraits qu’on n’a jamais connus» dit avoir étudié la psychologie pour comprendre son histoire et la motivation des gens. Cette science qui tend à «mettre tout le monde dans des catégories» a échoué à combler ses attentes, contrairement aux œuvres de l’esprit.

En expositions solos comme en galeries, l’exposante des «Corps-messager» recherche de la profondeur au travers du vécu. La Covid-19 lui a volé une poignée d’expositions, dont le projet «brouiller les cartes» avec le ministère de la Culture. Ce sont 2000 œuvres d’art postales réalisées à l’issue de 70 ateliers dans une douzaine d’école en Montérégie. Elles seront finalement exposées dans les rues de Saint-Jean-Sur-Richelieu en septembre.

 

Le Québec m’a révélé à moi-même 

L’histoire de son premier acheteur au Québec l’a résolument convaincue. L’agriculteur contemplait ses tableaux tous les matins avant de traire ses vaches et s’en inspirait. C’est ainsi qu’en 2005, l’entrepreneure artistique venue de l’Hexagone lance le studio Inspirigo pour devenir artiste à temps plein.

Depuis lors, elle a multiplié des dizaines d’expositions à l’image du célèbre «habiter les 3 corps» qui illustre son intégration dans la société québécoise : la communauté, le milieu et le pays. Avec la Société canadienne du cancer, elle a dressé «les marcheurs de vie» et aimerait rééditer l’exploit de «l’écho des murailles, l’écho des entrailles» sur la vie dans un corps de femme.

Pour son retour dans les rayons, elle annonce une autobiographie en chantier, en plus de l’ouvrage sur le monstre du lac Memphrémagog. L’exposante aux «livres indisciplinés» a à cœur de rapprocher l’écriture de l’art visuel par les romans graphiques. D’autres projets dans ses cartons et son petit carnet qui ne la quitte jamais, se dessinent avec de multiples associations dont elle est membre. Cette Québécoise «par conviction» voit sa France natale aux antipodes de sa terre d’accueil. «Les femmes n’ont pas de place en France, tranche-t-elle, décrivant une société machiste où elle dut braver la déconsidération en tant que mère monoparentale. «En plus, j’ai trouvé l’amour avec un Québécois comme une cerise sur le sundae», conclut-elle pour confirmer son credo selon lequel «on se libère du passé pour créer le futur».

 

Le journaliste Godlove Kamwa participe à l’Initiative de journalisme local, qui est financée par le gouvernement du Canada.