Magog, ville de premières

Nicholas Austin serait le premier à avoir harnaché la rivière Magog pour exploiter son pouvoir hydraulique. Avec l’arrivée de la famille Merry à l‘Outlet en mars 1799, le moulin d’Austin est amélioré par Ralph Merry III pour moudre le grain et scier le bois. C’est vers 1812 que ce dernier met sur pied à l’Outlet un moulin à carder la laine. En 1825, Joseph Atwood transforme cette carderie en une fabrique de transformation de la laine complètement mécanisée, une première au Bas-Canada. C’est le début de plusieurs innovations qui marqueront l’histoire du textile à Magog.

En 1845, Ralph Merry V et collaborateurs mettent sur pied la Magog Manufacturing Company, qui devient la Magog Textile & Print Co. en 1882. Celle-ci procédera à l’impression d’une pièce de coton (calico) en juillet 1884, une autre première au Canada. À une certaine époque, les usines de textile de Magog seront les seules usines canadiennes réunissant au même endroit les opérations de filature, de tissage, de blanchiment et d’impression.

N’oublions pas non plus que c’est à l’Outlet, en 1837, que Ralph Merry V lance une manufacture d’allumettes sur les bords de la rivière Magog, une première au Bas-Canada.

Enfin, une autre première, et non la moindre, est l’installation en 1896, à l’usine de Magog devenue la Dominion Cotton Mills en 1889, d’une trompe à air comprimée comme source d’énergie pour y activer la machinerie. Son concepteur est Charles Havelock Taylor (1859-1953).

Né à Chatham, au Nouveau-Brunswick, le 20 janvier 1859, Taylor est le fils de Charles et de Mary Palmer. Huitième enfant de la famille, il en est le premier garçon.  En 1871, alors que Charles a 12 ans, la famille déménage à Lévis et, en 1876, ils se retrouvent tous à Montréal. En 1880, Charles Havelock épouse Helen Maria Pye qui lui donnera 3 enfants. C’est à Montréal qu’il construira et fera fonctionner la première blanchisserie à vapeur. Cependant, sa carrière professionnelle s’oriente rapidement vers le secteur minier, notamment en Ontario.

En 1895, pendant la construction d’un barrage à Buckingham, en Ontario, cet entrepreneur hydraulicien autodidacte remarque que l’eau évacuée par le déversoir se jetant sous la glace entraîne une grande quantité d’air. Il note que cet air emprisonné sous les glaces est sous pression. Cette découverte l’interpelle et l’idée d’exploiter ce phénomène le mène à construire un modèle réduit dans son atelier de Montréal en 1893. Il soumet son idée à des investisseurs et fonde la Taylor Air Compressor Company qui construira sa première trompe industrielle en 1895.

Ce système d’énergie révolutionnaire est utilisé pour la première fois à Magog dans l’industrie textile, notamment pour l’imprimerie. Le principe est relativement simple, économique et écologique. Il consiste à comprimer l’air à l’aide du pouvoir hydraulique et à utiliser cette force motrice pour activer la machinerie. À Magog, c’est le courant du canal de dérivation passant entre les deux usines qui alimente le système Taylor. Les résultats de cette première expérience magogoise, attendus avec intérêt par les chercheurs, dont le professeur McLeod de l’Université McGill, s’avèrent très probants. De plus, un expert venu d’Angleterre en 1897 affirme que la force de cet air comprimé peut être transmise à une distance de 20 miles par une conduite forcée de 50 po de diamètre avec une perte de pression négligeable de 12 %.

Ce prototype, utilisé pour la première fois à Magog le 12 août 1896, a été suivi par plusieurs autres installations similaires à  travers le monde, par exemple dans le domaine minier en Amérique du Nord et en Allemagne. Toutefois, l’énergie hydroélectrique s’impose petit à petit dans le secteur manufacturier.

Les observateurs ne s’entendent pas sur la date d’arrêt de la trompe de Magog. Certains indiquent un arrêt dès 1901, ce qui serait surprenant vu l’investissement et la popularité de ce concept. De plus, ce dispositif est encore présent sur les plans d’assurance de 1921. Comme cette technologie a été remplacée par l’énergie hydroélectrique, il serait possible qu’elle ait été utilisée jusque vers les années 1920.

Maurice Langlois

Serge Gaudreau