En 1966: un centre commercial en plein centre-ville de Magog?

Selon les historiens Jean-Pierre Kesteman et Peter Southam, les années 1920 à 1950 marquent l’âge d’or des rues Principale dans les Cantons-de-l’Est. C’est le cas à Magog où la «Main», tant dans le haut que le bas de la ville, est occupée presque sans interruption par des magasins, boutiques, institutions financières, hôtels, bureaux et résidences de professionnels, cinémas et autres, en plus du parc des Braves qui constitue un point de rassemblement. La rue Sherbrooke est alors une modeste artère commerciale sur une courte distance.

Après la Seconde Guerre mondiale, la situation du commerce en Amérique du Nord change à un rythme accéléré. D’abord, les magasins à chaîne gagnent en popularité. À Magog, A & P et Dominion en alimentation, ainsi que Woolworth’s et Farmers dans le commerce de détail, ont pignon sur la rue Principale.

Un autre phénomène important est la prolifération des centres d’achats. Le concept est simple : regrouper à l’intérieur d’une même structure, mais dans des unités séparées, des commerces offrant une gamme diversifiée de produits et de services. Envisagé depuis 1956, le premier projet de ce genre dans les Cantons-de-l’Est, le Centre d’achats de Sherbrooke (aujourd’hui les Promenades King), entre en opération en 1960.

Avec la multiplication des automobiles et le progrès des transports en commun, particulièrement dans les grandes villes, ces complexes peuvent être implantés loin des rues Principale où l’espace est rare, onéreux, et où il n’est pas facile d’aménager des stationnements spacieux. Cela dit, plusieurs pensent que cette distance des quartiers populeux condamnera ces centres d’achats à l’échec. C’est le cas pour celui de Sherbrooke, érigé dans un secteur alors beaucoup moins habité de la ville. Pourtant, avec le temps, ce sont plutôt les centres-villes qui souffriront de cette concurrence.

Le concept fait tache d’huile. Au cours des années 1960, place Belvédère (Sherbrooke), le Woolco (Rock Forest) et d’autres centres d’achats ouvrent leurs portes à Granby et Thetford Mines.

Pourquoi pas Magog? C’est ce que pensent les dirigeants de l’entreprise G.-A. Marper de Montréal. Au printemps 1966, ils dévoilent publiquement un projet de 750 000 $ prévoyant la construction d’un centre d’achats de 4 étages sur l’emplacement des ferronneries Gauvin et F. A. Dion, du côté nord de la rue Principale. Voisines de la caserne de pompiers, celles-ci passeraient sous le pic des démolisseurs. Quant à la caserne, dont la démolition est déjà prévue, elle serait remplacée par un stationnement, permettant d’augmenter considérablement la capacité de celui du parc des Braves. Selon les plans, la façade de La Plaza Magog, nom retenu à ce moment, donnerait justement sur ledit stationnement, et non sur la rue Principale.

Le projet est intéressant à plusieurs points de vue. D’abord, il retient l’idée d’une promenade extérieure couverte, comme c’est le cas pour le Centre d’achats de Sherbrooke, et non celui d’un mail intérieur, qui deviendra graduellement la norme. C’est le cas par exemple pour le Carrefour de l’Estrie, fondé en octobre 1973.

Ensuite, la perspective de voir un centre d’achats en plein centre-ville est pour le moins intrigant. Quel aurait été son impact sur les autres commerces de la rue Principale? Aussi, quelles conséquences La Plaza aurait-elle eues sur la circulation locale dans ce secteur stratégique?

Nous ne le saurons jamais. Après cette annonce en grande pompe, les journaux locaux seront peu bavards sur l’évolution de ce projet pour lequel le représentant de la G.-A. Marper était un courtier immobilier de Sherbrooke, André Charest. En fait, La Plaza ne verra jamais le jour.

Ce n’est qu’en 1979, soit il y a 40 ans, que Magog aura son premier centre d’achats : Les Galeries Orford inc. Pour celui-ci, on retiendra la formule du mail. De plus, son implantation sur la rue Sherbrooke, à plus d’un km de la rue Principale, est plus conforme à la tendance courante pour les centres d’achats. Elle contribuera, entre autres, à étirer la trame commerciale sur la Sherbrooke avant que d’autres géants, comme Canadian Tire et Walmart, n’y élisent domicile.

 

Serge Gaudreau

Maurice Langlois