Partir dans la dignité

AIDE MÉDICALE. Le récent décès (8 janvier) de l’ex-journaliste Guy Roy, qui a fait les manchettes à travers le Québec, a ravivé plusieurs souvenirs chez des gens touchés par l’aide médicale à mourir. Si la douleur est encore vive pour certains, tous s’accordent cependant pour dire que le passage vers l’au-delà s’est fait dans la dignité. Près de deux mois après le départ de leur mère Suzanne – décédée le 7 décembre dernier – , Line et Roger Garneau demeurent convaincus que la décision ultime était la bonne. Entre 2004 et 2018, Suzanne Garneau a traversé pas moins de trois cancers, un ACV et une sévère chute à son domicile. Sachant que son mal était incurable et que sa qualité de vie devenait pratiquement nulle, elle a eu recours à l’aide médicale et elle a vécu ses derniers moments auprès de ses proches, à l’unité des soins palliatifs à Magog. Elle était âgée de 81 ans. «On a eu le temps de lui faire nos adieux et de lui dire à quel point on l’aimait. Même si le départ d’un être cher est toujours triste, ma mère était vraiment en paix avec le processus. Je souhaite à tout le monde d’avoir une mort comme celle-là», laisse entendre Line Garneau, toujours aussi sereine face à la fin de vie de sa maman. Son dernier Noël Après avoir annoncé sa décision à ses proches, Mme Garneau a profité des derniers jours pour passer des moments privilégiés avec ses enfants, leurs conjoints et ses petits-enfants. «Le dimanche avant son décès (notre photo en page frontispice), nous nous sommes réunis pour célébrer Noël avant le temps. Elle tenait à remettre un cadeau à ses petits-enfants, tout en sachant que c’était la dernière fois. Ce fut très émouvant», reconnaît Roger Garneau. «Je suis même allé lui porter un filet mignon aux soins palliatifs, après qu’elle ait mentionné à la blague qu’elle n’en avait pas mangé depuis longtemps», ajoute-t-il. «Je suis de la génération où on communique plus difficilement nos émotions, poursuit M. Garneau. Mais en l’écrivant, j’ai réussi à lui dire tout ce que je ressentais pour elle. Ce processus a été très libérateur; j’ai même offert d’aller parler de mon expérience devant des groupes. Le personnel des soins palliatifs nous a accompagnés de façon extraordinaire et le docteur (Jacques) Trudel a apaisé toutes nos craintes en nous expliquant ce qui allait se passer.» Également présente au chevet de sa belle-mère, Louise Sévigny Garneau, conjointe de Roger, estime que les derniers événements lui ont permis de mettre un baume sur le décès tragique de sa sœur Renée, il y a une quinzaine d’années. «Une mort par suicide arrive de façon abrupte et elle laisse des traces. On voudrait tout faire pour l’éviter. Cette fois, j’ai été témoin d’une mort qui s’est déroulée dans le respect de l’être humain. J’aimerais que plus de gens malades aient le privilège de terminer leur vie de cette façon», lance-t-elle, en ayant une pensée pour sa propre mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Quelques jours avant son décès, Suzanne Garneau a passé «un dernier Noël» en compagnie de ses enfants (Line et Roger), leurs conjoints (Christian et Louise) et ses petits-enfants (Tamara, Alexandra et Guillaume).
Des adieux difficiles Quelques mois après avoir appris qu’il souffrait d’un cancer incurable au cerveau, le Magogois André Turcotte a eu recours à l’aide médicale à mourir le 9 janvier 2018. Il était âgé de 68 ans. Son décès a fortement ébranlé son entourage immédiat, dont ses frères et sœurs, qui représentent une famille tissée serrée. «S’il avait été âgé dans les 80 ans, on l’aurait sans doute accepté plus facilement. Mais là, il avait pris sa retraite depuis seulement trois ans et il était encore très en forme avant de recevoir son diagnostic de cancer. On aurait aimé qu’il profite de la vie quelques années de plus», se désole Denis Turcotte, frère du disparu. «Il avait quitté les soins palliatifs durant quelques jours, afin de passer Noël dans sa famille, mais ça l’avait tellement affaibli. C’est là qu’il a décidé que ce serait terminé. Il savait que ça irait en empirant et il ne voulait pas finir ses jours de façon dégradante, en étant incapable de prendre soin de sa propre personne», ajoute M. Turcotte.
Denis Turcotte éprouve beaucoup de respect pour la décision de son frère André, qui a eu recours à l’aide médicale à mourir en janvier 2018.
«La période des Fêtes a été éprouvante, poursuit-il. On se souhaitait nos vœux du Jour de l’An, mais on savait que l’année allait commencer par un deuil.» Avec le recul, Denis Turcotte dit respecter toujours autant la décision de son frère, même si le processus a été difficile émotivement. «Tout juste avant son décès, on est allé le voir chacun notre tour. Le plus dur a été de lui dire adieu. Mais il avait assez souffert et il voulait partir dans la dignité. Probablement que je ferais la même chose si j’étais dans une situation identique.» Bien qu’il n’était pas présent dans la chambre lorsque le personnel médical a libéré son frère de ses souffrances, M. Turcotte a néanmoins vécu toutes les étapes d’aide médicale à mourir de près. «Dans les derniers instants, il était accompagné de son épouse, ses enfants et petits-enfants, alors que nous (ses frères et sœurs) attendions dans une pièce à proximité. C’est très spécial quand tu vois le médecin passer devant toi avec ses instruments, en sachant ce qui va se passer dans l’autre pièce. Je dois avouer que tous ces événements m’ont marqué. J’en ai eu des «flashbacks» pendant deux mois et demi», a-t-il confié. Organiser ses propres funérailles Si l’aide médicale à mourir devient de plus en plus répandue d’ici quelques années, il faudra peut-être s’attendre à voir plus de gens «organiser» leurs propres funérailles. Ce fut le cas notamment de Suzanne Garneau, qui a profité de ses derniers jours de vie pour ficeler les détails de son hommage au salon funéraire. «Elle a choisi elle-même le buffet et les chansons qui seraient jouées durant la cérémonie. Elle a même ajouté à la dernière minute une chanson de Ginette Reno, qui venait tout juste d’être lancée sur son nouvel album. Notre chanteuse (Marie-Ève Quirion) a dû l’apprendre en vitesse», se remémore Line Garneau en riant. De son côté, l’ancien journaliste du Journal de Montréal, Guy Roy, avait planifié ses funérailles de A à Z avec la complicité de son gendre, tout en accordant une touchante entrevue à sa fille Nathalie quelques semaines avant le grand départ. Celui qui a eu droit à un dernier hommage le 19 janvier dernier à Asbestos avait même pris soin d’enregistrer une vidéo où il s’adressait directement à ses invités, en les remerciant de leur présence au complexe funéraire. Voilà ce qui s’appelle être organisé jusqu’à la toute fin…