Tribune libre: les deux natures de Magog

La semaine dernière, j’ai assisté à deux événements qui, à cause de leur proximité dans le temps, m’ont fait réfléchir à la double nature de Magog.

Pour les uns, la ville est une oasis de paix où ils peuvent couler une vie tranquille. Les autres voient Magog comme l’endroit idéal pour créer un lieu vivant, c’est-à-dire animé. Il est indispensable de faire cohabiter les deux visions, car si on ne réussit pas à attirer et retenir des jeunes familles, la ville est vouée à une lente agonie, comme en ont connu plusieurs régions avant elle.

Le 25 juin dernier, dans la Tribune libre de ce journal, j’avais exprimé ma colère devant le refus du Gouvernement du Québec d’appuyer le projet de série d’animation mettant en vedette le personnage Amos Daragon de l’écrivain québécois Bryan Perro, sous prétexte que le projet magogois ne cadrait dans aucun programme. C’est donc avec joie que j’ai appris que la production de la série d’animation ira tout de même de l’avant, créant 50 emplois chez nous. Sylvain Viau, fondateur du groupe IceWorks, est un entrepreneur déterminé et très enthousiaste, mais ce qui séduit surtout chez lui c’est sa grande humilité et sa reconnaissance envers la communauté de Magog, à qui il attribue la réalisation de son vieux rêve.

Présent à la conférence de presse, Bryan Perro, grand fan de hockey, y est allé d’une métaphore pour remercier le promoteur Gilles Bélanger, qui n’a pas ménagé ses efforts pour faire aboutir le projet: «Nous avions déjà une très bonne équipe, mais il nous manquait un joueur de centre quand nous avons rencontré Gilles Bélanger», dont l’auteur a salué les talents «offensifs». J’ai le goût de pousser sa métaphore un peu plus loin. Gilles Bélanger, c’est le P. K. Subban de Magog. Il brasse, il bouscule, il dérange, mais il ne faudrait pas l’échanger, car on pourrait trouver le temps long…

Pour poursuivre dans la même veine, j’ai toujours été amusée par les gérants d’estrade qui parle des Canadiens de Montréal comme s’ils faisaient partie du club: «Nous n’avons pas été assez agressifs», «L’arbitre nous a volé un but» ou «Nous devons préparer l’avenir du club». Je me disais que ce serait bien de s’identifier tout autant à notre équipe de champions de Magog Technopole et à son coach André Métras, qui ont attiré IceWorks à Magog. Par leurs efforts, ces gens sont en train d’assurer l’avenir de notre communauté en recrutant des jeunes qui viendront s’installer chez nous avec leurs familles. Ne devrait-on pas les appuyer au moins autant que les joueurs de hockey professionnels?

Ce qui m’amène à la consultation publique sur le Lovering. Les jeunes promoteurs, qui m’ont paru sérieux, ont répondu aux questions des citoyens les yeux brillants d’espoir. Les arguments contre leur projet se défendent, mais ils me semblent un peu «frileux». J’ai fréquenté des «beer gardens» en Australie et en Nouvelle-Zélande et, à moins d’être allergiques aux rires des enfants, il n’y a vraiment pas de quoi s’inquiéter.

Ce n’est pas le bon emplacement? Pour ma part, je trouve que ce serait un symbole très fort si la Maison Merry, magnifique témoin du passé de Magog, côtoyait le Lovering, figure de la nécessaire simplicité des espaces de demain. On s’inquiète de la présence d’un conteneur? Si les architectes de ma génération ont eu la chance de créer de la beauté avec des matériaux neufs, ceux de la nouvelle génération devront user de créativité pour le faire avec les résidus de nos modes de production trop gourmands. Quand j’enseignais le développement durable à l’Université de Sherbrooke, les projets favorisant le recyclage et la réutilisation des matériaux étaient très tendance auprès des étudiants.

Il y a quelques mois, dans le quartier Mile End à Montréal, un espace de réseautage et d’échanges professionnels a été créé, un peu sur le même principe que le Lovering ; il comprend une immense terrasse et trois salles de réunion aménagées dans des conteneurs, où il est possible de prendre un café, manger, boire une bière, et travailler au soleil en terrasse. Recouvert de bois et de plantes grimpantes, comme notre conseil municipal l’exige, le conteneur du Lovering pourrait créer un nouveau standard esthétique pour ce genre d’aménagement urbain.

Notre mairesse ne manque certes pas de cran, car il n’a pas dû être facile de trancher la question devant un conseil divisé. Je suis certaine qu’elle n’aura pas reçu que des tapes dans le dos à la sortie de la séance du conseil, si j’en juge par certaines remarques entendues lors de la consultation publique… Mais, pour reprendre les sages paroles de la conseillère Diane Pelletier, «c’est normal qu’un conseil soit divisé puisqu’il doit être représentatif de la population». Mme Hamm a pris la bonne décision en laissant le projet aller en registre. Ainsi, les citoyens auront l’occasion de faire leur propre choix entre un terrain sans vie et un espace animé.

 

Andrée Mathieu

Auteure et résidante de Magog