Une règle injuste

La règle des banques ou caisses, qui regardent uniquement le revenu des deux dernières années, est une règle injuste et non représentative de la situation de l’emprunteur, ce qui lui cause des préjudices inestimables.

Pendant mes 31 ans comme avocat, dont 18 ans comme avocat pratiquant en insolvabilité et faillite, j’ai eu à côtoyer des gens qui pour des raisons hors de leur contrôle, arrivaient devant un mur économiquement infranchissable. Les raisons pouvaient être perte d’emploi, maladie, négligence, divorce et autres.

Il m’arrive encore fréquemment de rencontrer des gens qui me parlent de leurs problèmes, de leurs situations financières. Bénévolement et dans leur intérêt, je les écoute et j’essaie de les mettre sur une piste de solution. Il y a un dénominateur commun qui se dégage de ces rencontres; c’est la perte de confiance en eux-mêmes.

J’ai déjà lu qu’«un oiseau assis sur une branche n’a jamais peur que la branche casse, parce que sa confiance n’est pas dans la branche, mais dans ses propres ailes. Croyez toujours en vous-mêmes». C’est facile à dire, mais pas facile à appliquer. Quand la réalité, quand l’économie, quand nos affaires ne vont pas bien, la confiance en nous diminue et pourtant c’est à ce moment-là qu’on en a le plus besoin.

Les travailleurs autonomes sont fragiles économiquement parlant, surtout en cette période d’austérité. En difficulté financière, ils se retrouvent devant un directeur de banque qui, aujourd’hui, n’a aucun pouvoir discrétionnaire. Ce dernier remplit une formule sur son ordinateur, pèse sur un piton et le formulaire part pour Montréal. Puis quelques heures ou quelques jours plus tard, la «machine» à Montréal répondra oui ou non sans aucun effort à adapter la solution au problème de l’emprunteur. C’est automatique et l’humain est absent.

Aux fins de la chronique, nommons l’emprunteur, Paul. Ce dernier a besoin d’emprunter une somme d’argent pour payer des arrérages d’impôt et quelques dettes. Paul fut malade de sorte qu’il a dû pelleter par en avant ses arrérages et ses dettes.

Paul a eu des revenus de plus de 100 000 $ dans les 10 dernières années, sauf qu’il y a deux ans et demi, dû à sa maladie, ses revenus pour cette année-là furent de 40 000 $. Il est propriétaire d’une maison d’une valeur de 250 000 $ et il n’a que 100 000$ d’hypothèque. Il demande d’augmenter sa première hypothèque ou d’avoir une deuxième hypothèque.

Voici ce que le directeur de banque lui a répondu : «je ne peux pas prendre la moyenne de tes 10 dernières années de revenus même si tu as de l’équité sur ta maison; je dois appliquer la règle sans aucune nuance, qui veut que je prenne la moyenne de tes deux dernières années». Or, cette moyenne est hors-norme pour que la banque accorde le prêt. En vingt ans, Paul n’a jamais été en retard d’un paiement hypothécaire, mais cela, le directeur lui dit que la «machine» à Montréal n’en tient pas compte de sa feuille de route qui est positive.

Prenez votre crayon et comptez. Si Paul ne trouve de financement, il risque de perdre sa maison sur laquelle il a environ 75 000 $-100 000 $ d’équité. Ça n’a aucun sens. C’est d’une injustice flagrante. Contrairement à l’oiseau, Paul a peur que la branche casse.

Cette règle des deux dernières années est inhumaine. Combien de fois, j’entends dire : «Me Pelletier, je ne veux pas perdre ma maison, j’ai une équité et un bon revenu, mais aucune banque ou caisse ne veut me prêter, sauf quelques prêteurs privés qui prêtent à 14%-16%». Des Paul, il y en a beaucoup ces temps-ci.

Mesdames, messieurs, les banquiers, révisez votre règle du revenu des deux dernières années; en pratique, l’emprunteur comme Paul, ne pourra emprunter avant trois ans puisque l’année du 40 000 $ de revenu revient pendant deux années de suite, et cela dans cet ordre: la moyenne des revenus de 100 000 $ et 40 000 $ puis l’année suivante la moyenne des revenus de 40 000 $ et 100 000 $.

Lorsque j’écoute les gens qui viennent me jaser de leurs affaires, mon Dieu que je m ennuie des anciens gérants de banque qui nous écoutaient; ils avaient le pouvoir de décider et d’adapter la solution à notre situation personnelle. Ce n’est pas vrai qu’on peut administrer la même médecine à chacun de nous. Nous sommes tous différents même dans notre situation financière.

À tous les Paul, je dis : «la solution est en nous; on est vivant tant qu’on travaille et qu’on ne lâche pas. Il y a toujours une solution, faut la trouver.»

La «misère» c’est souvent et malheureusement faite par des humains pour des humains.

 

Me Laurent Pelletier

Avocat à la retraite

laurent@laupel.com