Village disparu de Cap Gibraltar (Furniss Mills)

Située sur la rive ouest du lac Memphrémagog, au nord de l’entrée de la baie Sargent, la Pointe (ou Cap) Gibraltar est formée par l’extrémité sud des Rangs XI et XII du canton original de Bolton. À l’exception de la municipalité de St-Benoît-du-Lac, Gibraltar fait partie de la municipalité d’Austin. On y retrouve aujourd’hui l’abbaye de St-Benoît-du-Lac et de riches propriétés privées. C’est l’endroit où Nicholas Austin le pionnier s’est installé à son arrivée dans Bolton, en 1793.

Furniss Mills

Albert Furniss (1807-1872), un homme d’affaires, avait fait fortune au milieu des années 1800 dans la distribution d’eau potable, d’électricité et de gaz, tant à Toronto qu’à Montréal. En juin 1868, il achète de la Couronne un lopin de terre de 54 acres sur la pointe Gibraltar, pour la somme de 64.80 $.

Le 2 décembre 1871, il achète 413 acres avec plusieurs bâtiments de William Harvey Austin, petit-fils du pionnier. Le 5 avril 1872, il acquiert, de Charles P. Kilborn, 100 acres avec une maison, une grange et autres bâtiments. Furniss conclut d’autres transactions, de sorte qu’à son décès en août 1872, il possède quelque mille acres de terre. Alors connue sous le nom de Furniss Mills, la propriété comprend quatre maisons, sept granges, sept hangars, un moulin à scie complètement équipé, et d’autres bâtisses.

Village de Cap Gibraltar

Le 18 août 1874, un groupe d’hommes d’affaires de Montréal achètent la propriété de la succession Furniss. Les signataires de la transaction sont : MM. Charles Desmarteau et Charles Lamoureux, grossistes en épicerie et importateurs de vins, Joseph W. Crevier, manufacturier, et un dénommé Jerry Moquin de Bolton. Le lendemain de cette transaction, Moquin vend sa part à deux avocats de Montréal, Francis A. Quinn et Frédéric Liguori Béique (nommé au sénat en 1902).

Le 21 août, le groupe forme une compagnie de construction sous le nom de La Compagnie de Villas de Cap Gibraltar. Leur objectif est d’acheter du terrain, le lotir, y construire des maisons et les distribuer au sort à chacun des futurs actionnaires, au coût de 1250 $.

Le projet initial est d’une centaine d’unités, construites sur des lots de 100 pi. de façade par 300 pi. de profondeur, donnant accès à des rues et des avenues aux noms des actionnaires. Les rues, allant de l’est à l’ouest, sont nommées : de la Baie, Magog, Desmarteau et du Moulin. Des avenues, allant du sud au nord, sont : Austin, Furniss, Huberdeau, Crevier, Lamoureux, Frontenac, Montcalm, Champlain, Quinn et Béique. La première année, 24 chalets sont construits. L’ensemble, connu sous le nom de Village de Cap Gibraltar, comprend une fabrique de meubles. Un imposant hôtel de 65 chambres, l’Hôtel Gibraltar, avec une magnifique vue sur le lac est construit, mais n’ouvrira jamais ses portes à cause de sérieux problèmes financiers que la compagnie éprouve.

Débâcle financière

Dès 1876, la compagnie éprouve de sérieux problèmes financiers. Desmarteau, Lamoureux et Crevier demandent une exemption de taxes pour la manufacture de meubles. Celle-ci est refusée. En mai 1877, une tornade frappe le site et cause des dommages considérables, dont la compagnie ne peut se remettre. Des débris sont retrouvés à plusieurs miles de là. L’année suivante, la compagnie doit céder le village à la « Dominion Mortgage Loan Company » et deux hommes d’affaires de Montréal en font l’acquisition : Damase Amédée Dufresne et son frère Salem. Amédée emménage dans une des quatre maisons de ferme, et Salem s’installe dans l’hôtel avec sa famille.

Vers 1885, l’hôtel est démantelé par les Dufresne et les matériaux transportés à Montréal où ils serviront à la construction d’immeubles sur la rue Notre-Dame Est. Quelques chalets ont été détruits par le feu, d’autres ont été démantelés et l’on croit que quelques-uns auraient pu être déménagés dans les environs. En 1889, la Compagnie existe encore légalement, mais elle est en état de désorganisation avancée et aux prises avec des poursuites devant les tribunaux.

Arrivée des Bénédictins

En 1892, les frères Dufresne se partagent le domaine, et en 1908, Damase Amedée vend sa portion à un certain Jean-Baptiste Lachapelle. À l’arrivée des Bénédictins en 1912, il ne reste à peu près plus rien ni du village ni de l’hôtel. Dom Paul Vanier, arrivé de France avec un compagnon le 4 juillet 1912, visite le site accompagné du curé Brassard de Magog et, à l’automne, une entente est conclue avec Lachapelle. Une maison de ferme, quelques bâtiments accessoires et 450 acres de terre sont acquis pour 12 500 $. Dom Vanier s’y installe et cette maison de ferme devient le premier monastère.

Aujourd’hui, il ne reste plus que des souvenirs lointains de ce « village » canadien-français qui fut de courte durée et qui a connu une fin tragique il y a plus de 125 ans. Parmi nos aînés, certains se souviennent d’avoir observé des vestiges des fondations de l’hôtel. Les bénédictins se souviennent de la rue Frontenac, qui a dû être déplacée en 1939 pour construire le monastère ainsi que de la rue du Moulin, à la limite sud de leur municipalité.

 

 

Maurice Langlois