Maison Tourigny : la Ville de Magog se rit du patrimoine bâti

À moins d’une intervention rapide et bien orchestrée des citoyens magogois, les dés semblent jetés en ce qui concerne la sauvegarde patrimoniale de la maison Tourigny, située dernière le Centre communautaire : la Ville de Magog est actuellement en processus d’appel d’offres pour la vente pour déménagement des bâtiments de cette propriété.

Comme la mairesse l’a déjà expliqué publiquement au mois de novembre dernier, avec l’accord unanime de son conseil municipal (puisqu’aucune voix discordante ne s’est exprimée): «Puisque la nouvelle bibliothèque va maintenant être à l’intérieur de l’église Sainte-Marguerite, on se retrouvait avec un bâtiment de trop. Et nous n’avons pas besoin de la maison Tourigny à des fins municipales. Comme les entreprises, nous ne devons pas avoir un trop grand inventaire».

J’avais alors souligné à quel point il est navrant de voir un Conseil municipal réduire la notion de patrimoine a une petite question d’arithmétique (« on se retrouve avec un bâtiment de trop ») sous des allures de gestion à la manière des entreprises privées (nous ne devons pas avoir un trop grand inventaire).Comme si la responsabilité d’un Conseil municipal se résumait à une vision aussi simplificatrice des réalités urbaines et patrimoniales!

Pourtant, il y a quelques années, la Ville avait posé un geste porteur d’espoir en accordant à la firme Bergeron Gagnon inc., consultants en patrimoine culturel et en muséologie, le mandat de faire un inventaire et une étude du patrimoine bâti de Magog (incluant les anciennes municipalités d’Omerville et de Canton de Magog). Le rapport de cette firme a été remis à la Ville en décembre 2007.

Voici ce qu’on écrivait aux pages 140 et 141 : « Le cœur du centre-ville de Magog forme un ensemble d’intérêt, du fait qu’on y trouve une concentration d’édifices à valeur patrimoniale élevée. La protection de cet ensemble s’impose hors de tout doute. Il ne faut pas non plus négliger la valorisation des édifices situés à l’extérieur de l’ensemble d’intérêt, dont ceux qui ont déjà connu des altérations. Pour y arriver, des mesures de sensibilisation, de même qu’un cadre législatif approprié, sont essentiels… Parallèlement, il serait aussi important d’assurer la préservation ou le remplacement du cadre végétal, tout en veillant à la protection des secteurs d’intérêt paysager ».

Que, selon les points de vue, on situe la maison Tourigny dans le cœur du centre-ville ou à l’extérieur de celui-ci, la conclusion des experts est la même : il faut protéger à la fois les édifices patrimoniaux ayant un intérêt certain (même s’ils ont subi certaines altérations) ainsi que le cadre végétal dans lequel ils s’inscrivent.

Voici comment, dans ce rapport, la maison Tourigny est caractérisée : maison à toit mansardé, construite en 1884, avec bon état d’authenticité et valeur patrimoniale supérieure, ce qui en fait un édifice d’intérêt particulier. Les deux critères justifiant la valeur patrimoniale sont la valeur d’âge (ancienneté) et la valeur contextuelle. Parmi les 1100 immeubles inventoriés, seulement 5,45 % correspondent à une valeur patrimoniale supérieure, comme la maison Tourigny. Même si les immeubles ainsi caractérisés ne sont pas qualifiés d’exceptionnels, ils ont conservé un bon nombre, sinon la totalité, de composantes et de matériaux anciens, ne présentent presque pas de déficiences en ce qui concerne les revêtements, les ouvertures, les fenêtres ou les galeries, et l’édifice ne nécessitent aucune intervention importante.

En un sens, si on ne considérait que l’édifice lui-même dans la valeur patrimoniale d’un immeuble, on pourrait presque conclure que le déménagement de l’édifice, comme souhaite le faire la ville de Magog, ne lui ferait pas perdre sa valeur patrimoniale globale.

Toutefois, comme le soulignent les auteurs du rapport de la firme Bergeron Gagnon inc., la préservation du cadre végétal dans lequel l’édifice est construit est tout aussi importante à assurer (p. 141). Sur les photos jointes au présent texte, on peut voir la maison Tourigny dans toute sa splendeur en 1925 puis en 1998, juste avant que la famille Laforest ne s’en départisse.

Actuellement, la ville de Magog est propriétaire d’une pointe de terrain appartenant jadis à la propriété originale. C’est un cadre végétal intéressant… qui aurait tout intérêt à être prolongé dans l’actuelle propriété Tourigny de façon à en augmenter non seulement la valeur patrimoniale, mais aussi la valeur visuelle à l’entrée ouest de la ville. Pour cela, il n’est pas nécessaire que la ville demeure propriétaire de la maison Tourigny. La ville pourrait la vendre tout en utilisant, comme le suggère le rapport de la firme Bergeron Gagnon inc., son pouvoir réglementaire afin de s’assurer que la propriété conservera toute sa valeur patrimoniale et paysagère.

Pourquoi la ville, tout en voulant se départir d’un « bâtiment de trop » non requis à des fins municipales, opte-t-elle pour un déménagement de la maison Tourigny plutôt que de la vendre à un acquéreur intelligent et soucieux de conservation et de mise en valeur du patrimoine? Pour agrandir le stationnement du Centre communautaire? Il est à espérer que non alors que le stationnement de l’église St-Patrice, à deux pas, peut être utilisé. Pour répondre à l’intérêt particulier de quelqu’un qui trouverait davantage son compte dans un déménagement plutôt que dans une mise en valeur sur le site même de la maison? Ce n’est en tout cas pas la transparence du Conseil municipal qui lui fait honneur dans ce dossier et il est à souhaiter que les contribuables magogois demandent sans délai à leurs élus davantage de cohérence, d’imagination et de courage dans la conservation du patrimoine bâti.

 

Daniel Faucher

Ex-Magogois