Merci à Serge Savard

Dernièrement avait lieu à l’Université de Sherbrooke une cérémonie octroyant à Serge Savard un diplôme honorifique pas nécessairement pour sa carrière au hockey, mais plutôt pour sa contribution dans le domaine de l’éducation, lui qui avait laissé l’école à l’âge de 15 ans. Grâce à mes amis Diane et Claude, grands amis de Serge Savard, j’ai eu le privilège d’être invité à cette cérémonie mémorable. Dans son allocution, Serge soulignait que son père lui disait : «Je n’ai pas eu la chance de faire de longues études, mais mes enfants vont avoir cette chance» et c’est ce qui est arrivé pour ses deux sœurs et son frère, mais pas pour lui. Trois fois, il a dû choisir entre le hockey et les études et trois fois il a choisi le hockey gardant longtemps la volonté de faire des études un jour. Mais, la vie ne lui a pas permis de faire des études.

Et Serge de continuer, «À cause de toutes ces raisons qui m’ont amené à prendre toutes ces décisions, j’ai commencé à militer pour le sport scolaire en ayant pour but que personne dans le futur n’aura pas à faire les choix que j’ai dû faire. Lorsque j’ai été approché par Diane Deslauriers et Claude Boulay pour fonder la corporation études-sport pour venir en aide aux étudiants qui veulent faire du sport à un plus haut niveau ou même d’élite, j’ai accepté en voyant toutes les inégalités qui existaient à travers le Canada.»

Serge et moi sommes de la même génération. Nous avons quasiment le même âge, à savoir deux jeunes hommes. Lorsque j’écoutais Serge nous parler de ses débuts, de ses implications sociales, mais surtout de son père et de sa mère laquelle avait trouvé très difficile son départ de Rouyn-Noranda pour Montréal à l’âge de 15 ans, je me suis alors mis à penser à mes parents; eux aussi désiraient que nous puissions faire de bonnes études.

Nous n’étions pas riches. Au séminaire Saint-Charles de Sherbrooke en 1957, le coût pour être pensionnaire, logé et nourri pendant 10 mois, était de 300$ annuellement. Mes parents n’avaient pas les moyens de payer cette somme. Ce fut un prêtre, soit l’abbé Rolland Bacon, qui paya ma scolarité et mon gîte. Puis, en 1958, je me retrouvais pensionnaire au Collège d’Alzon de Bury où ce fut les Pères blancs d’Afrique qui payèrent ma scolarité et mon gite. Si l’abbé Bacon et Les Pères blancs ont payé pour moi, c’est qu’ils croyaient que j’avais la vocation pour devenir prêtre. Arrêter de rire s’il vous plaît.

Un jour, j’ai dit à mon père que je ne savais pas ce que je ferais plus tard; or le 17 mars 1958, pris de panique, mon père m’écrivait : «Ne dis pas à personne d’autre qu’à nous que tu ne sais pas quoi faire plus tard, s’il fallait que cela vienne aux oreilles des Pères blancs, tu serais fini tout de suite au Séminaire. Prie très fort et fais des sacrifices pour connaître la volonté de Dieu, cela est très important. D’ailleurs tu as beaucoup de temps avant de savoir ce que tu feras». En bon Québécois, ça voulait dire que si les Pères blancs apprenaient que je ne désirais pas devenir prêtre, ils arrêteraient de payer et je devrais mettre un X sur mes études. Et comme mon physique ne me permettait pas devenir lutteur ou joueur de hockey, je devais donc étudier.

J’ai retrouvé une autre lettre écrite par ma mère le 11 novembre 1957 dans laquelle elle écrivait : «Oui mon petit garçon, papa est parti travailler très loin pour essayer de trouver de l’ouvrage plus payant afin de pouvoir nous rendre la vie plus facile et essayer d’être capable de vous payer des cours pour votre instruction selon vos désirs; tu es assez grand pour savoir que si papa reste là-bas, c’est ni plus ni moins l’exil et l’ennui pour lui, seul loin de nous tous qu’il aime tant; et nous ici, comprends-tu ce que ça représente pas de papa dans la maison ? Maman est obligée de faire le transport des écoliers cet hiver, et s’occuper de tout. Je te demande de prier beaucoup et d’offrir tes messes et surtout de ménager le plus possible et de faire des sacrifices pour que tout entre dans l’ordre; et si papa doit rester là-bas, qu’il fasse de gros salaires pour nous appeler à lui le plus tôt possible. Comme sacrifices, je sais que tu peux en faire beaucoup, mais tu sais que ce sont ceux qui nous coûtent le plus à faire qui sont les plus méritoires. Je te laisse le choix de les choisir. J’ai confiance en toi.»

Aux lecteurs de ma génération, je viens de vous retourner en arrière pas à peu près; aux lecteurs plus jeunes, je viens de vous apprendre quelles étaient les grandes valeurs de vos parents ou grands-parents. Mon père aimait à dire : «Laurent fait des études; tu vas travailler moins fort que moi.» Maudit qu’il m’en a passé toute une cette fois-là.

Serge Savard, tu nous as aussi montré que l’on peut réussir dans la vie en faisant ce qu’on aime, ce que tu as fait de mieux en jouant au hockey. Dans le sport d’élite, tu es l’exception qui confirme la règle, soit le 1% qui réussit. C’est pourquoi tu donnes tant d’importance aux études. La corporation études-sport de l’Université de Sherbrooke est entre bonnes mains avec toi et Claude.

Quelqu‘un a déjà dit : « J’aime mieux voir un charpentier qui siffle qu’un médecin qui boude.» C’est vrai, mais c’est plus harmonieux de voir un charpentier et un médecin qui sifflent ensemble.

 

Me Laurent Pelletier

Avocat à la retraite

laurent@laupel.com